En vedetteIl était une fois, le lac « Dayet Aoua »…

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02 Fév

Il était une fois, le lac « Dayet Aoua »…

Par Amine HARMACH

Rabat – Un paysage de désolation à une quinzaine de kilomètres de la ville d’Ifrane. Plus une goutte dans le lac Dayet Aoua. La situation persiste depuis plusieurs années. La pancarte « à vendre » de l’hôtel « Lac de Aoua » plante le décor d’une léthargie de l’activité touristique et de l’impact de l’assèchement du lac sur les revenus des populations locales. Cet hôtel emblématique, construit en 1940, est fermé depuis 2008.

Deux enfants montant leurs chevaux galopent à pleine vitesse en direction des rares visiteurs qui s’aventurent dans les lieux, en l’occurrence cette fois, les journalistes de la MAP. Ils les invitent avec insistance, en contrepartie de quelques dirhams, à une virée autour de l’ancien lac devenu un véritable désert, un terrain propice aux courses hippiques.

Lointaine est l’époque où ce site attirait des touristes de toutes nationalités, où les pédalos voguaient dans un paradis pour oiseaux migrateurs et diverses espèces de poissons, et où les randonneurs accouraient des quatre coins du monde.

« Aujourd’hui, ce lac est complètement asséché. C’était un paradis, un écosystème typiquement marocain avec une biodiversité très rare. Le lac désigné site Ramsar (une zone humide d’importance internationale) n’a pas perdu seulement son eau, mais également un trésor en termes de biodiversité faunistique et touristique », s’indigne Oussama Belloulid, militant écologiste.

Aujourd’hui, la région est plus connue pour ses exploitations de pommiers. Ces cultures, de plus en plus nombreuses ces dernières années, nécessitent de grandes quantités d’eau pour être irriguées, quitte à puiser dans la nappe phréatique jusqu’à l’épuisement.

« Les gens ont planté de grandes parcelles de pommiers. Pour subvenir au besoin très grand de cette culture en eau, beaucoup de producteurs ont creusé des puits et continueront à en forer en quête des précieuses gouttes jusqu’à provoquer une véritable crise écologique », alerte Said El Yousfi, acteur associatif dans la région de Dayet Aoua Tizguit.

Lui-même cultive des pommes, mais il est de plus en plus conscient et témoin de l’impact désastreux de cette activité sur les ressources hydriques, d’autant plus que la pomme ne rapporte plus comme auparavant.

« Cette année, l’activité stagne. Nous avons vendu la pomme à 3 DH le Kg. Et en l’absence d’une solution face à la baisse de la nappe phréatique qui perd chaque année deux mètres cubes, selon l’Agence du bassin hydraulique de Sebou, les perspectives des arbres fruitiers dans la région semblent de plus en plus réduites », déplore Said El Yousfi. Selon lui, le désarroi est tel qu’il y a même des riverains qui ont commencé à vendre leurs terrains agricoles contribuant à l’exode rural.

Pour montrer l’ampleur de la consommation d’eau de ces exploitations M. El Yousfi, également membre de la Chambre agricole de la région de Fès-Meknès, nous inflige un petit cours de mathématique:

« Un seul arbre, muni de deux goutteurs, absorbe 32 litres (L) en une heure, une fois par jour. Un hectare de pommiers contient au moins 800 arbres, ce qui nécessite 25.600 litres par jour. Les exploitations modernes, elles, peuvent contenir jusqu’à 2.000 arbres par hectare, elles absorbent donc jusqu’à 64.000 L par jour », détaille-t-il. Et de préciser la durée de l’arrosage que nécessite cette culture tout au long de l’année: « S’il n’y pas des précipitations ou des chutes de neige importantes entre janvier et avril, on démarre l’arrosage dès le mois de mai jusqu’à octobre, soit 6 mois. Faites le calcul ! »

Si l’on veut encore plus compliquer l’exercice, on prend en compte les chiffres officiels de 2017 selon lesquels le pommier occupe près de 10.000 ha au niveau de la vallée de Tigrigra (près d’Azrou) et Dayet Aoua (entre Imouzzer et Ifrane), sur 50.590 ha au niveau national.

Résultat: les 3.000 puits recensés officiellement dans la région ne suffisent plus pour remplir le besoin, sachant que l’Agence du bassin hydraulique de Sebou a suspendu les autorisations de forage depuis 2009. Les puits illicites, eux, pullulent donc, mais personne ne connaît leur nombre.

Et c’est justement cette agriculture intensive avide d’eau qui est pointée du doigt par les défenseurs de l’environnement. Certains la considèrent comme la principale raison derrière l’assèchement de Dayet Aoua. C’est le cas d’Oussama Belloulid, membre de l’ONG internationale WWF.

Selon cet expert en ressources hydriques, la surexploitation des ressources en eau à des fins agricoles, conjuguée à la vulnérabilité de la région aux changements climatiques, constitue la cause du drame de Dayet Aoua.

« Des études scientifiques que nous avons menées ont clairement mis en cause l’activité agricole. Cela vient démentir la croyance commune selon laquelle le lac s’assèche tous les 5 ans », tranche M. Belloulid, ajoutant que le problème de Dayet Aoua est qu’elle est étroitement liée à la nappe phréatique: tout impact négatif sur la nappe contribue à l’assèchement du lac.

Et ce n’est pas seulement Dayet Aoua qui subit de plein fouet cette surexploitation.

Dayet Hachlaf, Dayet Ifrah, Aguelmam Afennourir, Aguelmam Tifounassine et Aguelmam Sidi Ali sont également menacés.

C’est dans ce sens que WWF a lancé en novembre 2019 une initiative, le fonds de l’eau du Sebou, doté dans un premier temps de 1,2 million de dirhams, et visant la réhabilitation et la restauration du lac Dayet Aoua en collaboration avec divers acteurs étatiques et privés.

Par ailleurs, une autre position est adoptée pour expliquer l’assèchement de Dayet Aoua. En effet, Mohamed Moukhliss, directeur du Parc national d’Ifrane, estime que les études réalisées qui mettent en cause l’activité agricole comme principale cause du drame de Dayet Aoua « restent une hypothèse ».

« Le dessèchement de Dayet Aoua a toujours été cyclique. Il est dû à la sécheresse et aux changements climatiques en premier lieu. L’usage de l’eau par l’agriculture n’a fait qu’accentuer le phénomène », souligne le directeur du Parc national d’Ifrane.

Pour ce qui est des solutions proposées pour faire face à ce phénomène, M. Moukhliss relève que c’est au niveau de la manière d’utiliser l’eau que l’action doit être menée.

« On doit œuvrer à rationaliser l’utilisation de l’eau. Des études ont montré qu’on peut économiser 50% d’eau en contrôlant la fréquence et la quantité d’utilisation. C’est une piste qu’on doit exploiter », signale M. Moukhliss.

Même son de cloche chez M. Bellouli, qui affirme que « l’exploitation en eau n’est pas rationalisée, le niveau de technicité des agriculteurs dans ce domaine est très limité. Il faut rationaliser dans un premier temps l’exploitation de l’eau ».

Ce militant écolo appelle surtout à la mise en place d’une agriculture durable.

Des voix avancent une autre hypothèse expliquant le tarissement du lac Aoua: la nappe aurait une liaison avec le bassin de Saïss, c’est-à-dire que celui qui pompe l’eau au niveau de la plaine du Saïss a aussi un impact sur Dayet Aoua et sa région.

« Cette hypothèse appelle à élargir le champ d’action pour remédier au problème », recommande M. Moukhliss, soulignant que c’est une chaîne où tout le monde a une responsabilité, tout le monde doit être conscient de son impact.

Le lien entre le Saïss et la région est aussi avéré dans la mesure où cette région du Moyen Atlas, Ifrane en l’occurrence, constitue un véritable château d’eau pour la région de Saïss et Oued Sebou aussi. Dans ce sens, une autre solution concrète est proposée: ériger des barrages adaptés à la nature de la géographie locale.

« Nous avons besoin de retenir les eaux ici, grâce à des barrages, pour que les populations de cette région profitent de cette denrée comme il se doit », note Said El Yousfi.

Pour la petite histoire, le lac Dayet Aoua a été créé en 1930 grâce à la construction d’une digue en aval d’un oued, du temps du protectorat, pour sauver les riverains d’inondations dévastatrices. Près de 90 ans après, l’homme est appelé à intervenir à nouveau pour s’adapter à son environnement et trouver d’autres solutions, mais cette fois à l’assèchement.

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