A New York, la lecture à portée de main
Par Karim AOUIFIA
New York – Elles trônent comme ces phares « obstinés » qui guident les navires jusqu’à bon port. Dans les parcs publics, les stations de train comme dans les quartiers les plus reculés de New York, elles se dressent en toute majesté et en beauté sublime, prêtes à orienter l’être humain vers le “port” du savoir, de la créativité, de la diversité et de l’acceptation de l’Autre.
Ces “phares du savoir” ne sont autres que les petites bibliothèques gratuites ou les “pop-up libraries”, selon l’appellation préférée des Américains.
A Manhattan, au Bronx, à Brooklyn, au Queens, à Staten State ou même dans les banlieues de la Grande Pomme (Up State), la présence de ces joyaux, faits d’une dextérité extrême sous forme de nichoirs de grande taille, ne passe pas inaperçue. Au menu, une myriade de livres d’une diversité remarquable mis à la disposition du grand public, dans le but ultime et éminemment noble de répandre la culture de la lecture et de la rapprocher encore plus des catégories les “moins desservies”.
Cette initiative ingénieuse, à laquelle peut généreusement contribuer tout un chacun à travers des livres de son choix, a vu le jour avec la création de l’organisation Little Free Library en 2009. Le principe ne peut être plus simple: “Prenez un livre, laissez un livre, lisez un livre”.
Toute personne peut à juste titre contribuer en faisant un don d’un livre à la bibliothèque comme elle peut prendre l’ouvrage de son choix…gratuitement. C’est grâce à cet échange que le fait de la lecture et du partage se réalise avec une fluidité surprenante.
“L’objectif primordial de cette initiative est de stimuler la créativité, engager les amoureux des livres et servir de catalyseur pour aider les voisins à se connaître et à se connecter”, confie à la MAP, Greig Metzger, directeur exécutif de cette organisation américaine.
Après des débuts très timides, l’initiative a pris de l’élan et gagné en popularité aussi bien aux Etats Unis et au-delà à partir de 2012 lorsque Little Free Library est devenue un organisme à but non lucratif.
“Aujourd’hui, il existe plus de 138.000 petites bibliothèques gratuites dans 112 pays. Elles sont présentes sur tous les continents y compris dans l’Antarctique », se réjouit M. Metzger, précisant que plus de 250 millions de livres ont été partagés à travers le réseau de Little Free Library.
Cette initiative a pris une dimension plus inclusive, avec le lancement du programme “Read in Color”, destiné à servir, en livres, des communautés “mal desservies”, notamment les enfants, et à donner voix aux auteurs “sous-estimés ou marginalisés”. Il tend aussi à mettre en place un écosystème qui rend les livres plus accessibles et disponibles tout le temps.
“Ce programme est intervenu comme une sorte de réponse au meurtre de George Floyd dans notre ville de Minneapolis et les troubles civiles généralisées qui s’en suivaient”, explique le directeur exécutif de Little Free Library. “Nous pensons qu’à travers le partage d’une telle variété de livres, l’entente, l’empathie et la justice peuvent émerger et prendre toute leur mesure”, lance-t-il.
George Floyd est un Afro-américain décédé en mai 2020 lors d’une intervention musclée de la police au Minneapolis dans l’Etat du Minnesota (Midwest). L’incident violent, enregistré en vidéo, a suscité l’émoi aux Etats-Unis et à travers le monde et déclenché un sursaut anti-raciste.
Le travail de longue haleine pour la promotion du livre a nécessité le concours et la contribution de plusieurs parties pour concrétiser l’initiative de la lecture.
“Nous avons collaboré avec des partenaires locaux et des défenseurs de l’alphabétisation afin de généraliser le programme dans les régions où le besoin est très ressenti”, avance-t-il, notant que cette initiative fournit une année de livres divers qui reflètent les facettes de la communauté où est installée la petite bibliothèque.
“Nous croyons que tout un chacun, particulièrement les enfants, devrait être en mesure de se reconnaitre dans les ouvrages qu’ils lisent”, enchaîne-t-il, ajoutant que les livres ne sont pas seulement “des miroirs, mais aussi des fenêtres sur des vies vécues qui pourraient différer de la nôtre”.
Désormais présentes dans 10 villes américaines, les “pop libraries” ont été accueillies avec enthousiasme parmi les aficionados de la lecture, selon M. Metzger qui n’a pas manqué de saluer le concours “précieux” des partenaires locaux.
Approchés par la MAP, de jeunes lecteurs de la ville de New Rochelle (Sud de l’Etat de New York) ne cachent pas leur amour et leur passion pour les “Pop-up Libraries”.
“Je viens régulièrement au Hudson parc pour consulter la petite bibliothèque et prendre un livre”, a dit Jason avec un grand sourire, tenant entre ses mains le roman “Animal Rescue” de Tanya Savory.
“J’aime beaucoup l’idée d’une pop-up library où nous pouvons nous servir d’une variété de livres comme on peut contribuer à l’enrichir par des ouvrages de notre choix”.
Même son de cloche chez Zayna, écolière de 7 ans, dont le choix a porté sur un livre de Suzanne Barchers “Boats Afloat”. “Cette bibliothèque me permet d’améliorer ma lecture”, a-t-elle dit, ajoutant qu’elle tient à contribuer à cette initiative à travers des livres qu’elle ne lit plus.
“Étant donné la nature clé en main de cette initiative, elle peut s’adapter à une variété d’environnements, y compris dans les écoles publiques, les systèmes de bibliothèques municipales, les parcs, les cliniques et franchement partout où les gens se rassemblent”, relève encore le directeur exécutif de Little Free Library.
Ces bibliothèques, aussi petites soient-elles, offrent aux communautés dans lesquelles elles se trouvent un espace noble de partage et de générosité qui témoigne du besoin humain à être et à rester en contact avec son entourage par le moyen qui est aussi propre à l’être humain: la lecture.