ActualitésClimat et modèles de développement : Interview avec le directeur de l’AFD au Maroc, Mihoub Mezouaghi

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11 Déc

Climat et modèles de développement : Interview avec le directeur de l’AFD au Maroc, Mihoub Mezouaghi

Propos recueillis par Hasnaa ELAKKANI

Rabat – Le directeur de l’Agence française de développement (AFD) au Maroc, Mihoub Mezouaghi, a accordé une interview à la MAP dans laquelle il a jeté la lumière sur différents thèmes, notamment l’impact des changements climatiques sur les modèles de développement, les répercussions de la crise sanitaire et le bilan de l’Agence dans le Royaume.

Lors de cet entretien, qui intervient à la veille du 5ème anniversaire des accords de Paris, M. Mezouaghi a souligné « l’impératif d’accélérer la transition des modèles de développement », en vue d’atteindre les objectifs escomptés en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

1- Nous sommes à la veille du 5ème anniversaire des Accords de Paris, comment évaluez-vous les efforts du Maroc en matière de décarbonisation de l’industrie ? Quel impact sur le partenariat Maroc-UE ?

En effet, 5 ans après les accords de Paris sur le Climat, nous sommes tous plus conscients de l’impératif d’accélérer la transition de nos modèles de développement. La trajectoire de hausse des températures à plus de 3°C pointée par les prévisions du GIEC n’a pas encore été inversée, et ce en partie en raison d’une mobilisation insuffisante de la finance Climat.

Pour s’approcher d’une neutralité carbone à horizon 2050, qui correspondrait à une hausse des températures de seulement 1,5°C, près de 4000 à 5000 milliards de dollars doivent être investis dans la transition écologique dans le monde.

Aujourd’hui, la finance climat est estimée à seulement 400 à 500 milliards de dollars par an. C’est d’ailleurs ce constat qui a conduit l’AFD à réunir en novembre près de 450 banques publiques de développement pour aligner nos agendas Climat.

Gardons à l’esprit que les conséquences environnementales, économiques et sociales seront plus importantes dans les pays les plus vulnérables alors même que ces pays sont les moins contributeurs en matière d’émission de CO2.

Le Maroc est un pays engagé au regard à la fois de sa contribution nationale sur le Climat ambitieuse, mais aussi très concrètement, des progrès en matière de transition vers les énergies renouvelables. L’étape qui s’ouvre est celle d’une plus forte décarbonation de l’économie marocaine pour renforcer sa résilience mais aussi tirer parti des importantes opportunités induites par les mutations du marché européen, qui sera lui-même plus ouvert à des biens à faible intensité carbone.

En ce sens, le New green Deal et la stratégie Power to X, fortement soutenus par l’Union Européenne et ses Etats membres, proposent un cadre stratégique bilatéral fertile pour adapter toute la chaîne de valeur industrielle et agricole, en amont par l’approvisionnement du tissu économique en énergie sobre en carbone et en aval par des modes de production et de consommation moins énergivore.

2- Quel bilan faites-vous des activités de l’Agence au Maroc en 2020 en termes d’engagements, de cibles et de réalisation ?

Il est toujours difficile de dresser le bilan annuel d’une activité qui, par construction, s’inscrit dans le temps long et qui n’a de sens que par ses impacts observés. Je peux ici peut-être mettre l’accent sur deux enseignements.

Le premier est que notre activité s’est fortement accrue dans le contexte de crise Covid, découlant en partie du rôle contracyclique attendu des bailleurs publics internationaux. En ce sens, nous avons accéléré nos décaissements auprès de l’Etat, des opérateurs publics et du secteur bancaire pour un montant qui atteindra à la fin de l’année entre 300 et 350 M€, soit une hausse de plus de 30% par rapport à 2019.

Par ailleurs, sur les deux dernières années, 2019 et 2020, nous aurons signé des conventions de financement pour un montant de près de 900 M€. Enfin, nous maintiendrons cette année un volume de nouveaux octrois de financement pour un montant proche de 400 M€ en 2020, parfaitement en ligne avec notre engagement d’investir 2 milliards d’euros entre 2017 et 2021.

La réalité est que ce niveau d’investissement sera plus élevé au terme de cette période, et reste le plus élevé dans le portefeuille global de l’AFD qui couvre aujourd’hui plus de 120 pays. Les investissements de Proparco, dont l’exposition atteint aujourd’hui 100 M€ principalement en lignes de crédit au secteur bancaire privé et en prises de participation dans des entreprises, vont s’accroître en 2021 sur la base d’un potentiel d’investissement de près de 250M€.

Enfin, l’agence de coopération technique Expertise France, qui devrait formellement rejoindre le Groupe AFD en 2021, a multiplié au Maroc par 5 son volume d’activité en 2020 par rapport à 2019.

Le second enseignement est plus qualitatif et porte sur une diversification de notre dialogue partenarial tant sur de nouvelles thématiques innovantes, comme par exemple le lancement d’un programme de start-up d’Etat, l’appui aux industries culturelles et créatives ou encore la promotion de la contribution socio-économique du sport, que sur l’animation d’une réflexion stratégique sur les politiques publiques avec le ministère des Finances et des think tanks marocains.

3- La pandémie de Covid-19 a chamboulé les priorités de l’ensemble des pays partenaires de l’AFD. Quels sont les ajustements opérés par l’Agence (montants, domaines ou catégories cibles…) pour mieux les accompagner en cette conjoncture difficile ?

Bien entendu, les priorités ont évolué dans ce contexte de crise et nous l’avons observé dans l’ensemble des pays partenaires. Ces priorités concernent principalement l’économie de la vie (santé, protection sociale et accès à des services publics de qualité), l’économie du vivant (préservation de la biodiversité et des ressources naturelles) et l’économie verte (décarbonation des économies et des sociétés).

Au-delà de l’atténuation de l’impact économique et social de la crise, l’enjeu fondamental est bien la transformation des économies et des sociétés pour s’adapter au contexte post-Covid et dégager les leviers d’une relance durable.

Cette grille de lecture est, je pense, également pertinente dans le cadre de notre partenariat avec le Maroc, même s’il nous faut attendre le cap stratégique qui sera proposé par la commission sur le nouveau modèle de développement.

Notre programmation opérationnelle en 2021, en cours de consolidation avec nos partenaires, met déjà l’accent fortement sur les facteurs de résilience au dérèglement climatique (notamment en matière d’optimisation de la ressource hydrique et d’efficacité énergétique), de cohésion sociale (notamment en appui à la réforme du système de protection sociale) et d’émergence d’un tissu entrepreneurial à impact social et créateur d’emplois.

De manière plus instrumentale, l’effort d’investissement public sera encore très soutenu en 2021 mais dès 2022 la restauration des grands équilibres macro-économiques en phase de sortie de crise sera recherchée. Dès à présent, la réflexion, au cœur des réformes annoncées, porte sur l’introduction de mécanismes de financement qui ne peuvent reposer exclusivement sur le budget de l’Etat, cela renvoyant principalement à un financement plus autonome du secteur public marchand et l’élévation des effets d’entraînement de l’investissement public sur l’investissement privé.

4- Afin de contrecarrer les répercussions de la crise de Covid-19, la Loi de Finances 2021 s’articule autour de trois grandes priorités à savoir la relance de l’économie, la couverture sociale et l’exemplarité de l’Etat. A quel point ces axes se croisent-ils avec la stratégie de l’AFD et comment comptez-vous accompagner ces nouvelles orientations ?

En tant qu’observateur et partenaire du Maroc, je relève deux points clés. D’une part, le niveau des dépenses publiques et en particulier des investissements publics est maintenu à un niveau élevé, et cela consolide l’effort consenti en 2020 pour absorber le choc économique et social de la crise. Et d’autre part, et cela est plus intéressant, cet effort public est inscrit dans des axes stratégiques qui renvoient à des réformes structurelles et institutionnelles clés. D’abord celle de l’extension de la couverture sociale pour renforcer la résilience de l’économie marocaine. Et il y a un consensus, en ce sens, dans une perspective internationale à considérer qu’une plus forte cohésion sociale élèvera le potentiel de croissance économique de long terme. Ensuite, celle de la réforme du secteur public et de son financement.

Le capital productif public est robuste avec un chapelet d’opérateurs publics qui portent l’action publique, et c’est à la fois une spécificité sur le continent et un acquis important. Mais, l’enjeu est bien désormais de renforcer la cohérence de ce capital, dans ses missions et sa gouvernance pour améliorer la rentabilité économique et financière des infrastructures installées et futures et de valoriser davantage ses externalités sur la compétitivité et la productivité des entreprises.

Objectivement, l’efficacité d’une politique économique résulte de son impact sur le sentier de croissance et in fine sur le niveau de l’investissement national et international pour engager une phase de relance et de sortie par le haut de la crise. Au-delà des volumes de financement, la contribution d’un bailleur est aussi de contribuer à renforcer la confiance du marché financier et sous cet angle, notre lecture du risque Maroc ne suscite à ce jour aucune inquiétude. Et bien évidemment de traduire cette confiance par un acte d’investissement, et comme je vous l’ai indiqué le cap pour l’AFD est clair, nous continuerons comme nous le faisons depuis près de 30 ans, à investir dans l’économie marocaine et selon les priorités d’intérêt commun évoquées précédemment.

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