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04 Fév

Colombie : Quand les hippopotames de Pablo Escobar deviennent une menace pour les humains et l’environnement

Par Mohammed BEN MESSAOUD

Bogotá – Vingt-sept ans après la mort de Pablo Escobar, son ombre continue de hanter la Colombie. Le chef du cartel de Medellín, l’un des barons de drogue les plus puissants et les plus craints dans l’histoire d’Amérique latine, fait encore parler de lui à cause des hippopotames qu’il a laissés derrière lui.

En l’espace de plus de deux décennies, ces pachydermes, originaires d’Afrique, se sont reproduits à un rythme effréné constituant une véritable menace aussi bien pour les villageois que pour les écosystèmes et la biodiversité. Leur présence suscite l’inquiétude des autorités et des écologistes qui ne savent quoi faire de cet encombrant héritage.

L’introduction de ces géants mammifères semi-aquatiques qui vivent habituellement dans les lacs, les rivières et les marécages peu profonds, remonte aux années 1980 lorsque Pablo Escobar, à l’apogée de sa puissance et de sa mégalomanie, a eu l’idée extravagante de créer un zoo privé dans son ranch de 3.000 hectares, connu sous le nom de l’Hacienda Nápoles, situé dans le Magdalena Medio, à 165 kilomètres de Medellín, capitale du département d’Antioquia (nord-ouest).

Connu pour sa passion pour les animaux exotiques, le chef du cartel de Medellín a ainsi importé des espèces de différents continents notamment des oiseaux rares et exotiques, des girafes, des lions, des rhinocéros, des zèbres, des autruches, des éléphants, des kangourous et des hippopotames pour constituer son zoo. En tout plus de 1.900 espèces.

Il voulait constituer « sa propre arche de Noé », selon les dires du criminel le plus riche de l’Histoire (25 milliards de dollars US, d’après le magazine Forbes), rapportés à l’époque par la presse colombienne.

Après sa mort le 02 décembre 1993, abattu par la police colombienne à l’âge de 44 ans, une partie de l’Hacienda Nápoles a été transformée en parc d’attractions, alors que la plupart des animaux ont été répartis dans des jardins zoologiques à travers le pays ou vendus à l’étranger. Seuls restaient sur place les quatre pachydermes, trois femelles et un mâle, ramenés illégalement du zoo de San Diego (Etats-Unis). Ils sont livrés à eux-mêmes dans la ménagerie abandonnée, les autorités considérant qu’il serait trop coûteux de les déplacer.

Depuis, le nombre de ces espèces ne cesse de se multiplier grâce à leur adaptation aux conditions climatiques de la région, similaires à celles d’Afrique, et à l’absence de prédateurs tels que les lions ou les crocodiles.

Leur population serait de l’ordre de 60 à 80, selon des estimations du biologiste colombien Germán Jiménez, qui s’est penché sur cette question aux côtés d’autres chercheurs colombiens et étrangers ayant mené des études pour évaluer l’impact de ces espèces sur les écosystèmes et la biodiversité.

Alors que les autorités ont beau affirmer que les pachydermes étaient en captivité dans l’ancien ranch du « Roi de la cocaïne », dès 2006 des habitants de la région ont indiqué avoir aperçu des hippopotames le long du fleuve Magdalena, bien loin de l’Hacienda Nápoles.

« Les gens nous disent que la population de ces hippopotames augmente. L’estimation est qu’il y a entre 60 et 80 individus », a expliqué Jiménez au magazine Semana. « Ce qui est inquiétant, c’est qu’il existe une hypothèse selon laquelle ils se reproduisent plus rapidement ici, car ils atteignent la maturité sexuelle à un âge plus jeune qu’en Afrique. Dans 30 ans, c’est-à-dire d’ici à 2050, ces 60 ou 80 animaux pourraient atteindre le nombre de 400 », a-t-il mis en garde.

« Ces animaux, si lourds à l’âge adulte, piétinent beaucoup la terre, ils altèrent les sols et consomment 70 ou 80 kilos d’herbe par tête. Ce sont de véritables tondeuses », a ajouté le biologiste colombien pour alerter contre les dangers de ces espèces qui peuvent parcourir la nuit jusqu’à 30 kilomètres à la recherche de nourriture.

« Il faut trouver une solution pour limiter leur reproduction », a pour sa part plaidé David Echeverri López, biologiste à l’Agence autonome régionale des bassins des fleuves Negro et Nare (Cornare).

« Ils ont été importés illégalement par Pablo Escobar et n’ont pas de prédateurs naturels. Cet été, des chasseurs ont tué un hippopotame jugé problématique, et il y a eu un tollé chez les environnementalistes. On a envisagé la stérilisation, mais c’est dangereux et très cher. En ce moment, on envisage la contraception, mais il est difficile de trouver une molécule assez puissante pour ces mastodontes. Et il faudrait que l’effet contraceptif dure plusieurs mois », a-t-il encore noté.

« Nous ne savons pas quoi faire, nous devons trouver une solution alors même que le problème est de plus en plus grave. Pour l’instant, il n’y a pas eu d’attaque ni de mort, mais nous ne sommes pas à l’abri. Nous faisons courir un risque à la population », a déclaré Echeverri.

Même constat chez une équipe de chercheurs de l’Université américaine de Californie, à San Diego, qui a analysé pendant deux ans la qualité de l’eau des bassins fréquentés par ces animaux.

Selon les conclusions de cette étude, publiée récemment par la revue Ecology, les eaux fréquentées par les hippopotames contiennent moins d’oxygène et sont potentiellement toxiques pour les poissons à cause des déchets organiques de ces espèces.

La population de ces pachydermes, devenus très invasifs en Colombie, devrait continuer à croître de façon spectaculaire au cours des prochaines années, ont alerté les auteurs de cette étude. « Dans 20 ans, il pourrait y en avoir des milliers, écrivent-il, ce qui pourrait modifier davantage l’écosystème aquatique ».

Leur présence pourrait menacer également d’autres espèces natives comme les lamantins, les caïmans ou les tortues géantes, ont-ils encore prévenu.

Toutes les solutions préconisées jusqu’à présent par les autorités colombiennes pour se débarrasser de ce fardeau ont échoué. La stérilisation et la castration, un temps envisagées pour stopper la reproduction de ces animaux, ont été abandonnées en raison du coût exorbitant de cette opération.

Le pays sud-américain a même proposé à certains pays de la région d’accueillir dans leurs parcs zoologiques des individus de ces espèces, mais cette initiative n’a pas eu l’effet escompté. Seuls l’Equateur et l’Uruguay ont accepté l’offre de la Colombie en recevant chaqu’un deux hippopotames.

La Colombie a même sondé certains pays d’Afrique pour savoir s’ils sont prêts à accueillir ces espèces géantes. Selon certains médias, cette démarche a été rejetée au motif que les pachydermes pourraient être porteurs de virus et de maladies tropicaux.

Toutefois, ces pachydermes sont devenus une attraction touristique pour la région en dépit des mises en garde des autorités contre d’éventuelles attaques de ces animaux. Des touristes colombiens et étrangers visitent spécialement le parc de l’Hacienda Nápoles pour admirer ces mammifères géants. Des mascottes à l’effigie de ces hippopotames ornent désormais l’entrée de certains restaurants de la région.

La Colombie est ainsi devenue le premier pays au monde en dehors de l’Afrique à abriter une communauté d’hippopotames à l’état sauvage qui continuent de se reproduire et de courir dans la nature dans l’attente de voir les autorités trouver une solution magique à ce problème.

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