Journée mondiale des océans : Interview avec Karim Hilmi, expert océanographe
Propos recueillis par Abir HASSANI
Rabat – Dr. Karim Hilmi, chercheur et expert océanographe auprès de la Commission Océanographique Intergouvernementale de l’UNESCO (COI/UNESCO) et du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC/WGII), revient, dans un entretien avec la MAP, sur les principaux défis environnementaux qui menacent les océans ainsi que les actions entrepris pour y faire face.
Dans cet entretien réalisé en marge de la Journée mondiale des océans, célébrée le 8 juin de chaque année, M. Hilmi s’attarde sur les contributions du Maroc dans la protection du domaine marin, notamment dans le cadre de la Décennie pour les Sciences Océaniques au service du Développement Durable (2021-2030).
1. La communauté internationale célèbre le 08 juin la « Journée Mondiale de l’Océan ». Quel est son rôle et quel est le thème retenu pour cette année?
Les Nations Unies ont proclamé le 8 juin de chaque année comme date commémorative de « la Journée Mondiale de l’Océan ». La Journée Mondiale de l’Océan nous rappelle le rôle majeur que joue l’Océan dans notre vie quotidienne. L’objectif de cette journée est d’informer le public sur l’impact qu’ont les actions humaines sur l’océan, de développer un mouvement mondial des citoyens ainsi que de mobiliser et fédérer la population autour de la gestion durable de l’océan. L’Océan est le poumon de notre planète. Il représente une source majeure de nourriture et de médicaments et constitue une partie essentielle de la biosphère. Le thème retenu par les Nations Unies pour cette année est « Renouvelons en Profondeur notre Action » en faveur de notre Océan.
2. Pouvez vous nous donner un aperçu général sur les principaux défis environnementaux auxquels sont confrontés les océans aujourd’hui ?
En référence au message envoyé par le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, à l’occasion de la Journée mondiale de l’océan, « les changements climatiques entraînent une montée des eaux et constituent une menace existentielle pour les petits États insulaires en développement et les populations côtières. Les températures marines atteignent des niveaux records qui provoquent des phénomènes météorologiques extrêmes dont nous ressentons tous les effets. L’acidification de l’océan détruit les récifs coralliens, rompant un maillon essentiel des chaînes alimentaires et faisant peser une menace sur le tourisme et les économies locales. L’aménagement non durable des littoraux, la surpêche, l’exploitation minière des grands fonds marins, la pollution incontrôlée et les déchets plastiques causent des dommages considérables aux écosystèmes marins du monde entier ».
3. Comment la présence des polluants (exemple des microplastiques) dans les océans affecte-t-elle la biodiversité marine et les écosystèmes marins à travers le globe?
L’ODD 14, tel que défini par les Nations Unies, porte sur la conservation et l’exploitation durable des ressources marines. Ce vaste écosystème aquatique, qui couvre 70% de la surface de la Terre, joue un rôle essentiel dans la préservation de la vie humaine et de la biosphère en général. En plus de fournir des ressources essentielles − nourriture, énergie, eau −, les océans aident à lutter contre le réchauffement climatique en absorbant environ un quart du dioxyde de carbone émis chaque année dans le monde. La pollution plastique est une très forte menace pour nos océans et une grande problématique mondiale aux conséquences néfastes pour la santé humaine et l’environnement.
4. Pour revenir vers le thème de cette année « Renouveler en profondeur notre action », comment pouvons nous agir plus efficacement en faveur de la santé des océans, notamment en utilisant les nouvelles technologies?
En matière de gouvernance, dans son dernier message, António Guterres indique: « l’océan est la mère nourricière de toute forme de vie sur Terre. Mais notre océan est en danger. Et nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Mais des lueurs d’espoir existent ».
L’an dernier, l’Assemblée générale a adopté un traité historique, l’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, le plus important texte sur la gouvernance de l’océan de ces dernières décennies.
Et grâce au travail mené actuellement pour élaborer un traité juridiquement contraignant visant à mettre fin à la pollution plastique, nous nous rapprochons de notre objectif commun de protection de l’océan. Dans un avis qu’il a rendu récemment, le Tribunal international du droit de la mer a prié les pays de prendre des mesures pour la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution marine résultant des émissions de gaz à effet de serre, ce qui constitue là aussi une avancée.
Selon M. Guterres, « le Sommet de l’Avenir de cette année et la Conférence des Nations Unies sur l’océan qui se tiendra l’année prochaine en France sont autant d’occasions de s’engager à agir pour restaurer et protéger nos précieux écosystèmes marins et côtiers. C’est maintenant que les gouvernements, les entreprises, les investisseurs, les scientifiques et les collectivités doivent s’unir pour défendre nos océans”.
Par ailleurs, l’apport et le rôle des nouvelles technologies en milieu marin jouent un rôle de plus en plus indéniable, entre autres, pour les observations in situ, l’apport des produits issus de l’imagerie satellitaire, de la modélisation marine prédictive et de la modélisation sur le climat et impacts sur le milieu marin à travers le Groupe d’experts Intergouvernemental pour l’évolution du Climat ou GIEC), … pour une meilleure compréhension de nos océans et de leurs écosystèmes alliant anticipations et prises de décision nécessaires.
5. Parlez-nous du rôle de la Commission Océanographique Intergouvernementale de l’UNESCO et de la Décennie des Océans au service du Développement Durable (2021-2030) ainsi que de l’engagement du Royaume du Maroc pour cette Décennie.
En matière de gouvernance internationale, on doit aussi faire référence à l’UNESCO, à travers sa Commission Océanographique Intergouvernementale (COI/UNESCO). Elle a pour rôle d’encourager la coopération internationale dans le domaine des sciences de la mer, afin d’améliorer la gestion des océans, des côtes et des ressources marines. La COI/UNESCO offre ainsi un cadre de collaboration à ses 150 États membres dont le Royaume du Maroc fait partie, coordonnant des programmes de renforcement des capacités, d’observation de l’océan, de sciences et de services océaniques, de systèmes d’alerte aux tsunamis et de culture de l’océan. Le travail de la COI contribue à la réalisation de la mission de l’UNESCO qui consiste à promouvoir la science et ses diverses applications dans le développement des connaissances et des capacités. C’est la clé du progrès économique et social, une base pour la paix et le développement durable. En 2021, les Nations Unies ont lancé en 2021 la Décennie pour les Sciences Océaniques au service du Développement Durable (2021-2030) et cette Commission est responsable de la coordination de cette Décennie. Les objectifs de cette Décennie est d’atteindre l’Océan que nous voulons d’ici 2030, avec comme vision la science dont nous avons besoin pour l’océan que nous voulons et pour mission des solutions océanographiques transformatrices pour le développement durable, reliant les gens et notre océan.
Par ailleurs, le Royaume du Maroc joue un rôle très important en tant que pays membre au sein de cette Commission Océanographique Intergouvernementale de l’UNESCO, en étant fortement impliqué dans ses organes de gouvernance, son Conseil Exécutif, et en ayant assuré entre 2019-2023 la Vice Présidence du groupe V (Afrique et États arabes). Au niveau national et par rapport à la Décennie pour les Sciences Océaniques au service du Développement Durable (2021-2030), notre pays est également fortement impliqué dans les activités de cette Décennie, en ayant mis en place depuis son démarrage en 2021 un Comité National de la Décennie de l’Océan, coordonné par la Commission Nationale pour la Culture, les Sciences et l’Éducation. La Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement est également très fortement impliquée dans les activités nationales et internationales de cette Décennie en tant que membre fondateur de l’Alliance pour la Décennie de l’Océan, dont SAR la Princesse Lalla Hasnaa est la marraine.