L’interminable crise de la faim au Zimbabwe
-Par Ilias Khalafi-
Johannesburg – De larges pans de la société zimbabwéenne continuent, depuis des années déjà, à se démener pour trouver de quoi remplir leurs assiettes, non seulement à cause du chômage et de la cherté de la vie, mais surtout en raison de la rareté des denrées alimentaires de base dans les marchés de ce pays d’Afrique australe.
Bien que possédant d’énormes ressources naturelles et des terres fertiles, l’ancienne Rhodésie fait face à une crise économique et sociale sans précédent depuis son indépendance, en raison de la mauvaise gestion et de la corruption qui ont régné sous la présidence de l’ancien chef de l’Etat, Robert Mugabe (1987-2017).
Les gouvernements Mugabe avaient adopté, il y a deux décennies, une politique agraire en procédant à l’expulsion de 4.500 fermiers blancs pour redistribuer leurs terres à environ 300.000 familles noires. Il s’agit de corriger des déséquilibres fonciers coloniaux, arguent-ils.
A cause de cette politique, le pays n’est plus en mesure de produire assez d’aliments pour nourrir ses populations. La production céréalière du pays, qui s’affaiblit d’une année à l’autre, représentait moins de la moitié des besoins nationaux en 2019 et les experts prévoient une récolte encore plus mauvaise pour 2020.
Trois ans après la prise de pouvoir par l’actuel président, Emmerson Mnangagwa, le bilan social n’a rien de flatteur. La situation humanitaire dans ce pays de près de 15 millions d’habitants est toujours très détériorée, avec une crise de la faim aggravée par la pandémie du coronavirus.
L’économie en berne, l’hyperinflation et de longues années de sécheresse ont mis le Zimbabwe dans une situation de cul de sac, contribuant de la sorte à sa plus grave crise alimentaire en plus de dix ans, selon des organisations internationales.
Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui relève des Nations Unies, n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme durant les dernières années pour attirer l’attention sur la situation de ce pays. Dans son dernier rapport, le PAM a affirmé qu’il a besoin de plus de 200 millions de dollars pour faire face à la faim qui guette près de la moitié de la population zimbabwéenne.
«Des millions de Zimbabwéens sont actuellement dévastés par une année de sécheresse, l’aggravation de l’hyperinflation et la pandémie du Covid-19», fait constater le PAM qui a lancé un appel pour collecter un montant supplémentaire de 204 millions de dollars pour soutenir plus de quatre millions de personnes les plus exposées durant les six prochains mois.
Cet appel intervient avant la saison maigre, précédant les premières récoltes, qui risque de pousser quelque 7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du Zimbabwe, dans la faim d’ici mars 2021.
La représentante du PAM au Zimbabwe, Francesca Erdelmann, dira à ce propos que les Zimbabwéens vivant dans les zones rurales n’ont d’autre alternative que de sauter des repas, réduire la taille des portions, s’endetter ou vendre leurs biens pour survivre.
Selon les chiffres de l’UNICEF, 4,1 millions d’enfants auront un besoin urgent de services de santé vitaux et d’une aide humanitaire en 2021, en raison notamment de la pandémie de coronavirus et de la crise économique. «Plus de 38.000 enfants atteints de malnutrition aiguë sévère (MAS) ont besoin d’un traitement, 2,7 millions de personnes ont besoin d’eau potable et d’assainissement et 2,2 millions de personnes dans les zones urbaines ont besoin d’une protection sociale», précise l’organisation onusienne.
Et avec le phénomène climatique de La Niña, attendu au début de l’année, la situation humanitaire devrait encore se détériorer davantage. Le pays est, en effet, exposé au risque d’inondations soudaines, d’épidémies et de maladies diarrhéiques, dont le choléra.
Dans ce contexte délétère, le gouvernement s’efforce de redonner espoir aux Zimbabwéens à coup de programmes ambitieux et de projections de croissance très optimistes.
La stratégie nationale de développement du Zimbabwe, qui a été approuvée récemment, aspire ainsi à faire passer le pays dans la catégorie des économies à revenu moyen supérieur d’ici 2030. Selon les autorités zimbabwéennes, cette stratégie permettra d’atteindre une croissance économique de l’ordre de 5% en moyenne entre 2021 et 2025.
Mais dans un contexte économique international en crise et face aux multiples défis internes que traverse le Zimbabwe, les observateurs estiment que ces prévisions sont «irréalistes», puisque le pays ne dispose pas des moyens de ses ambitions.
Décidément, les vents du changement qui ont soufflé sur le pays en 2017 avec l’éviction de Mugabe, n’ont encore rien changé à la réalité du Zimbabwe, pays longtemps considéré comme grenier d’Afrique mais qui peine toujours à assurer la sécurité alimentaire pour ses citoyens.