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06 Mar

Naufrage de MS Estonia : la vidéo relance le débat

 

Par Houcine MAIMOUNI

Tallinn – Plus de 26 ans après son naufrage, le MS Estonia rechigne à livrer son secret, celui d’une catastrophe maritime ayant couté la vie à 852 âmes, dont 501 Suédois et 285 Estoniens, dont de nombreux corps gisent toujours à 85 mètres de profondeur dans la mer Baltique.

Le secret serait resté entier, intact, si ce n’était la détermination des parents des victimes, la hardiesse de la presse et la pression d’une opinion publique qui, dans un élan unanime, exigent plus de transparence et davantage d’explications.

Il s’en est fallu, pour relancer le débat, de la diffusion en septembre dernier d’un documentaire ayant révélé l’existence dans la coque du navire d’un trou de quatre mètres, jusqu’ici inconnu.

« Estonia : la découverte qui change tout », diffusé sur une chaîne suédoise à l’occasion du 26ème anniversaire du naufrage, a valu à ses réalisateurs une poursuite en justice, mais aussi une rare levée de boucliers.

Le réalisateur Henrik Evertsson et l’analyste Linus Andersson ont été acquittés par une Cour de Göteborg (ouest de la Suède) où ils étaient poursuivis pour avoir filmé avec un sous-marin télécommandé l’épave du ferry, le « cimetière marin », sanctuarisé par un accord datant de 1995 entre la Suède, l’Estonie et la Finlande.

Les deux mis en cause, aujourd’hui blanchis, encouraient une amende ou une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour avoir enfreint ledit accord.

Or, les deux hommes, arrêtés par la marine finnoise, se trouvaient au moment des faits à bord d’un navire battant pavillon allemand, pays non-signataire de l’accord de 1995. Les autres membres de l’équipe documentaire ont été relâchés parce qu’ils n’étaient pas citoyens des pays signataires du traité de protection du « cimetière marin ».

Mais, au-delà des considérations judiciaires, le documentaire a certainement fait mouche, au point de bousculer une classe politique plutôt encline à faire taire à jamais cet épisode douloureux, l’un des naufrages les plus meurtriers du XXe siècle après le Titanic.

Une commission internationale tripartite entre la Suède, l’Estonie et la Finlande avait conclu en 1997 à une déficience du système de verrouillage de la porte escamotable de proue qui, arrachée par les vagues lors de la tempête, aurait permis à l’eau de s’engouffrer sur le pont-garage réservé aux voitures.

L’affaire a été par la suite plus ou moins étouffée, la Suède allant jusqu’à proposer de recouvrir l’épave de béton. C’était sans compter sur la détermination des familles des victimes qui, elles, insistent pour que les corps soient récupérés.

 Estonia : naufrage « imprescriptible »

Dans la foulée, la Suède a fini par nuancer son intransigeance, en apportant un amendement à la la loi sur le « cimetière marin qui prévoit, entre autres, des plongées assurées par des robots.

La nouvelle Première ministre d’Estonie, Kaja Kallas, ne rêvait pas de meilleur cadeau pour son investiture : « C’est un chemin que l’Estonie, la Finlande et la Suède doivent emprunter ensemble », dira-t-elle.

« Nous sommes unanimes sur le fait que l’enquête doit être menée par des institutions indépendantes. Le nouveau gouvernement estonien a la ferme volonté de poursuivre l’enquête sur l’épave de l’Estonie et se réjouit que la Suède modifie sa législation, ce qui permettra de commencer les enquêtes sous-marines à l’épave », a déclaré Mme Kallas, après un appel téléphonique avec son homologue suédois Stefan Löfven.

Sitôt installé, son cabinet annonce trois millions d’euros à l’enquête sur l’épave du MS Estonia, confiant au Bureau estonien des enquêtes de sécurité la tâche de se préparer à l’ouverture d’une enquête médico-légale sous-marine après que la Finlande et la Suède ont modifié leurs lois.

« Trois millions d’euros n’est pas une somme importante pour les enquêtes sous-marines. Les enquêtes coûtent souvent des dizaines de millions », s’est insurgé le directeur du centre de formation continue de l’Académie maritime, Ivar Treffner.

Estimant qu’une enquête appropriée devrait être menée même si tout le monde n’est pas entièrement satisfait, il a déploré au passage une modique somme allouée à une « enquête artisanale », face à l’ampleur des attentes.

Pour le journaliste suédois Lars Borgnäs, qui a longtemps enquêté sur le naufrage, il ne fait pas de doute que l’Estonie, jadis sous l’emprise soviétique, doive prendre désormais les devants sur ce sujet.

« En 1994, l’Estonie était un pays jeune. La Suède était plus forte dans tous les sens. La Suède était dominante et peut-être que l’Estonie se sentait comme une petite sœur. Maintenant que la situation a changé, l’Estonie est égale à la Suède et peut prendre l’entière responsabilité de répondre aux questions du peuple estonien, qui sont en fait les questions des Suédois également ».

L’Estonie (1,4 million d’habitants), membre du Conseil de sécurité de l’ONU, membre de l’UE et de l’OTAN, s’est très tôt affranchie du joug communiste, tant et si bien que le pays s’affiche comme « E-stonia » pour vendre une image à l’avant-garde de la technologie.

Petit bémol dans l’entretemps : les familles de centaines de victimes attendent, comme un requiem, de récupérer les restes de leurs êtres chers, emportés par les flots, dans les premières heures de cette nuit du 24 septembre 1994.

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