Technologie nucléaire : Des procédés innovants au service de la sécurité alimentaire
Siham Toufiki.
Rome – Face aux nouveaux défis imposés par le changement climatique, de nombreux pays dans le monde s’orientent vers l’utilisation de la technologie nucléaire pour assurer la sécurité alimentaire en renforçant la résilience des systèmes agricoles et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre dans l’agriculture, tout en tenant compte des spécificités et des priorités locales.
Les technologies nucléaires offrant des solutions et des méthodes uniques à même de contribuer à la lutte contre la faim, la réduction de la malnutrition, ainsi qu’à l’amélioration de la durabilité environnementale et de la sécurité sanitaire des aliments, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont mis sur pied un centre mixte s’appuyant sur des techniques de la science nucléaire pour l’amélioration de la production agricole et la protection des ressources naturelles.
Ces techniques faisant appel aux isotopes ou aux rayonnements peuvent permettre de lutter contre les organismes nuisibles et les maladies, d’accroître la production végétale, de protéger les terres et les ressources en eau et de garantir la sécurité sanitaire des aliments.
En effet, les pays qui ont rejoint le centre mixte FAO / AIEA ont pu créer leur propre laboratoire de diagnostic moléculaire des maladies animales et disposer de l’équipement et de la formation appropriés pour réaliser des tests en temps réel de réaction en chaîne de la polymérase (PCR), un procédé nucléaire moléculaire permettant de détecter avec précision les maladies en moins d’une journée.
Selon la FAO, la technique des insectes stériles (TIS) dérivée des techniques nucléaires est également utilisée pour lutter contre les insectes ravageurs. Cette technique consiste à reproduire des quantités énormes d’insectes et à stériliser les insectes mâles par rayonnement ionisant avant de les lâcher dans des zones infestées de parasites. La technique, qui supprime et élimine progressivement les insectes nuisibles déjà présents ou empêche l’installation d’espèces envahissantes, est plus sûre pour l’environnement et la santé humaine que les pesticides conventionnels.
Les gouvernements du Guatemala, du Mexique et des États-Unis ont utilisé la technique des insectes stériles pendant des décennies pour prévenir la propagation de la mouche méditerranéenne des fruits au nord du Mexique et aux États-Unis.
En outre, le Guatemala envoie chaque semaine des centaines de millions de mouches des fruits méditerranéennes mâles stériles vers les États américains de Californie et de Floride pour protéger des cultures à forte valeur, telles que les agrumes.
Il est possible d’irradier les graines au moyen de rayons gamma, de rayons X et de faisceaux d’ions ou d’électrons afin de déclencher des modifications génétiques. Cette diversification élargit le patrimoine génétique disponible aux fins de la sélection végétale. Les variétés qui en résultent peuvent donner de meilleurs rendements et être de meilleure qualité, ainsi que mieux résister à la sécheresse, à la chaleur, aux inondations, aux organismes nuisibles et aux maladies, ou avoir des cycles de croissance plus courts.
Les techniques nucléaires peuvent améliorer la sécurité sanitaire et le contrôle de la qualité des aliments puisqu’elles permettent de détecter ou d’éliminer les résidus nocifs et les contaminants présents dans les produits alimentaires.
Par exemple, le traitement des aliments aux rayonnements ionisants peut tuer les microbes potentiellement nocifs et ainsi prévenir des maladies d’origine alimentaire. L’irradiation des aliments prévient également la propagation des insectes nuisibles et facilite les échanges transfrontières de fruits et légumes qui donnent lieu à des mesures de quarantaine. Les rayons gamma, qui permettent de traiter environ 1 tonne de fruits par heure, sont les plus fréquemment utilisés.
Les technologies nucléaires ont été adoptées par plusieurs pays africains, afin d’améliorer la productivité animale, le contrôle et la prévention des maladies transfrontières des animaux et la protection de l’environnement.
Par exemple, le Cameroun utilise ces technologies dans ses programmes de reproduction animale, d’élevage, d’insémination artificielle et de lutte contre les maladies. En croisant deux races locales de bovins, les agriculteurs ont triplé leurs rendements laitiers – de 500 à 1 500 litres – et ont généré 110 millions d’USD supplémentaires de revenus agricoles par an.
De même, les techniques nucléaires permettent aux agriculteurs Massaï, au Kenya, de planifier l’irrigation à petite échelle, de sorte à doubler les rendements des légumes en utilisant seulement 55 % de l’eau qu’ils utiliseraient normalement s’ils appliquaient des techniques traditionnelles d’arrosage manuel.
En outre, les techniques nucléaires aident les autorités nationales dans plus de 50 pays à améliorer la sécurité sanitaire des aliments en s’attaquant au problème des résidus nocifs et des contaminants dans les produits alimentaires et à renforcer leurs systèmes de traçabilité par le biais de l’analyse des isotopes stables. Par exemple, des programmes scientifiques au Pakistan, en Angola et au Mozambique permettent désormais de tester les résidus de médicaments vétérinaires et de contaminants dans les produits animaux. Déjà quelque 50 institutions pakistanaises de production et d’exportation de denrées alimentaires bénéficient des nouvelles capacités d’analyse en laboratoire, qui permettent de s’assurer que ces produits respectent les normes alimentaires internationales et renforcent ainsi la réputation du pays sur le marché international des denrées alimentaires.
Au moment où le débat prend de l’ampleur autour de l’épineuse question de la sécurité alimentaire dans le contexte de la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie de Covid-19, l’utilisation des technologies nucléaires dans l’alimentation et le secteur agricole s’avère incontournable pour nourrir le monde et récolter des bénéfices énormes.