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02 Fév

Rabat: Le « souk des fleurs » file un mauvais coton

.-Par Fatima CHENNOUFI-.

Rabat – Situé au centre-ville de Rabat et dominant la Place Moulay El Hassan (ex-Place Pietri), telle une forteresse de senteurs et de couleurs, le marché aux fleurs semble avoir perdu de sa fraîcheur. Dans ce mythique endroit, pas loin de la Cathédrale Saint-Pierre, « Marché Nouar » a vu le jour en 1940 et a été délocalisé pendant trois ans à Nouzhat Hassan, le temps de réaménagement de l’ancienne Place Pietri.

Attirés par les enivrantes effluves qui se dégagent des charmantes échoppes des fleuristes, les chalands s’attardent un moment, s’extasient devant les pots et les bouquets magnifiquement arrangés mais passent rapidement leur chemin. Ceux parmi eux qui prennent le temps de se renseigner sur les prix passent rarement à la caisse. Jugeant ces derniers excessifs, ils filent à l’anglaise, faisant la sourde oreille aux interpellations du commerçant, ses supplications ou ses injures.

Les fleurs ne font plus recette, manifestement. Cela ne veut pas dire que les R’batis sont insensibles à la beauté et la symbolique de ces jolies plantes. Mais, pour être pratiques, débourser entre 100 et 200 DH pour un bouquet d’une dizaine ou d’une vingtaine de fleurs dont la durée de vie ne dépasse pas quelques jours, revient à jeter son argent par les fenêtres. Et cela, peu de Marocains sont disposés à le faire! Du coup, « Marché Nwar » qui, auparavant, ne désemplissait pas, offre aujourd’hui un spectacle de désolation avec ses occupants inoccupés, qui passent leurs journées à regarder voler les mouches et ces fleurs qui fanent sans trouver preneur.

Sur toute l’année, le « Souk » des fleurs ne retrouve sa fraîcheur que pour quelques jours, à l’approche des « Moussems », de la « Saint-Valentin” et du 8 mars, la journée internationale de la femme.

Pour ce temple des fleurs déserté, il n’existe pas de haute et de basse saison, car toute l’année est « basse saison ». Mais, avec les premières chaleurs de l’été, un vent de fraîcheur souffle sur la Place Pietri et le ciel s’éclaircit pour ces marchands infortunés. Une large gamme de fleurs, tous parfums, couleurs et variétés confondus, débarquent dans les échoppes.

Les mains expertes des fleuristes s’en occupent à plein temps et l’on met les bouchées doubles pour composer des bouquets splendides qui pourraient séduire le chaland et renflouer les caisses vides.

En hiver, par contre, c’est carrément la « saison morte » avec non seulement des acheteurs qui se font rares, mais aussi plusieurs variétés impossibles à trouver à cause de la vague de froid qui n’épargne que les fleurs les plus résilientes.

Cette période de vaches (très) maigres dure presque cinq mois, entre octobre et février. Les arrivages de marchandises sont programmés toutes les 48 heures mais à quantité limitée, eu égard à la baisse de la production horticole due à la capacité limitée des serres.

Les fournisseurs du marché subissent ainsi de plein fouet les contraintes relatives aux aléas climatiques, qui font que la production des fleurs en général et des roses, surtout, régresse pendant l’hiver.

Selon Aziz Mouhcine, président de l’association des fleuristes du marché aux fleurs, ces dernières proviennent essentiellement des villes de Béni-Mellal, Marrakech et Agadir. Elles sont généralement cultivées dans les régions où la température est élevée, ce qui explique leur rareté durant la période hivernale, précise-t-il dans une déclaration à la MAP.

Aux environs de Rabat, les fournisseurs des échoppes sont les horticulteurs et les pépiniéristes de Skhirate et Sidi Bouknadel, connus principalement pour leurs pépinières à effet de serre dédiées chacune à un type de fleurs ou de plantes, dont la production se fait à longueur d’année, indépendamment des saisons et des conditions climatiques.

« Ces fournisseurs de proximité qui pratiquent des prix bas sont la source d’approvisionnement fixe et incontournable des fleuristes. Les fleurs importées des Pays-Bas telles les orchidées, sont vendues à des prix très élevés avoisinant les 500 DH l’unité », relève Mourad, jeune fleuriste de la place.

Très jeune, Mourad a hérité de ce métier de son père et sa seule formation était à l’échoppe. « Je n’ai bénéficié d’aucune formation professionnelle, tout simplement parce qu’elle n’existe pas », fait-t-il savoir. Se basant sur un apprentissage traditionnel, de père en fils ou de maître à apprenti, les fleuristes acquièrent le savoir-faire de classifier, d’entretenir et de stocker les marchandises, fleurs et plantes vertes confondues.

« Après le décès de nos grands maîtres artisans, dont El Haj M’barek, El Haj Ayyad, Si boubker, Si Talbi et autres… nous sommes toujours à la recherche d’un nouveau « L’amine » qui pourra succéder à l’ancien, mais en vain », a dit Aziz Mouhcine, soulignant que « l’amine » élu par les fleuristes doit être un vrai maître artisan, expérimenté, sage et digne de confiance. Ce fleuriste-en-chef se charge également de résoudre toute brouille ou différend entre les professionnels. En l’absence de « l’amine », c’est l’association des fleuristes de la Place Pietri qui gère les démarches administratives auprès de la commune urbaine de Rabat.

Par ailleurs, chaque fleur a son prix. Ce prix ne dépend pas seulement de la « qualité » de la marchandise, mais aussi du talent du fleuriste, de sa créativité et sa maîtrise de l’art de la composition florale. Le prix minimal d’une rose solitaire oscille entre 03 et 05 DH, tandis que le prix maximal est de 15 DH à 20 DH. Les orchidées, elles, figurent parmi les plus coûteuses et sont vendues à près de 600 DH le bouquet ou le pot. En fonction du nombre de fleurs arrangées, le prix d’un bouquet contenant principalement des roses varie entre 50 DH et 150 DH.

Ceci dit, un bouquet plus grand ou conçu plus soigneusement sur commande peut atteindre entre 1.000 DH et 1.500 DH. Intégrés dans le prix total, les emballages à base de porcelaine, papier ou cellophane et le petit ruban en plastique coûtent entre 30 DH et 05 DH. Inchangés depuis des décennies, les emballages adoptés par les fleuristes de la place Pietri restent « basiques » en comparaison avec les design innovants et les nouvelles tendances qui submergent le domaine floral.

En outre, bien que les propriétaires bénéficient d’un local gratuit et ne payent que les factures d’eau et d’électricité et les rémunérations de leurs employés, ils doivent s’acquitter de taxes annuelles allant, selon le chiffre d’affaires réalisé, entre 2.000 DH et 7.000 DH. Malgré ces difficultés qui plombent l’activité depuis des années, le marché aux fleurs de Rabat est toujours en vie. Sa longévité, il la doit irréfutablement à son passé glorieux et à la grande place qu’il occupe dans les cœurs des R’batis, en tant que site chargé d’histoire, de couleurs et de parfums.

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