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02 Sep

Chasse à l’or en Amazonie brésilienne : l’essor économique et la menace environnementale

Par Khalid ATTOUBATA.

Brasilia – L’Amazonie brésilienne, poumon de la planète, concentre plus de 72% de toutes les extractions minières du pays-continent. Le paradoxe du choix entre une exploitation si prometteuse économiquement et une préservation si primordiale pour le Brésil et pour la planète est flagrant au niveau de ce biome, qui est au centre d’un débat national et international.

Une étude publiée lundi dernier par l’organisation Mapbiomas souligne que de toutes les activités d’extraction qui se déroulent dans la plus grande forêt tropicale de la planète, 67% correspondent à l’exploitation minière illégale, connue au Brésil sous le nom de « garimpo » et pratiquée principalement dans des zones de conservation de l’environnement.

En d’autres termes, cela signifie que 97,3% de toutes les activités minières illégales au Brésil se produisent en Amazonie, une région qui représente près de la moitié (49,2%) de l’activité extractive industrielle (légale) de la première économie sud-américaine.

Un métal précis se distingue particulièrement ces dernières années, l’or, qui fait l’objet d’une ruée sans précédent, d’une chasse pour la plupart illégale, dénoncent plusieurs ONGs.

L’année dernière, le Brésil a exporté quelque 110 tonnes d’or vers une vingtaine de pays, moisson d’une nouvelle fièvre qui nourrit les inquiétudes à l’égard de la plus grande jungle de la planète. La crainte semble être bien justifiée : la recherche du métal précieux met en péril 6,2 millions d’hectares de réserves indigènes et environnementales, l’équivalent de deux fois un pays comme la Belgique, d’après l’Institut Escolhas, une organisation qui promeut le développement durable au Brésil.

Les prix de l’or ont augmenté en raison de la pandémie de coronavirus et les ventes du métal en 2020 ont rapporté au Brésil près de 5 milliards de dollars, une valeur 60% supérieure à celle de 2019 et 18 fois supérieure à celle d’il y a dix ans.

L’Institut Escolhas a découvert qu’une partie de l’or exporté avait une certaine incohérence, puisque 16,8% des expéditions à l’étranger en 2020 n’ont été notifiées dans aucun registre de production et 17,2% du produit était le résultat d’une exploitation minière illégale.

Si on retire les 91,9 tonnes produites (sur les 110,6 tonnes d’or exportées en 2020) par le Brésil selon des données officielles, au moins 19 tonnes seraient illégales.

Une source au Sénat brésilien a confirmé à la MAP que le principal défi reste les activités illégales, mais aussi l’impact dévastateur sur l’environnement et la menace qu’elle fait peser sur les réserves indigènes.

Selon le même interlocuteur, les chercheurs d’or profitent de la présence limitée des forces de l’ordre dans ces régions. Il soulève aussi les problèmes de santé que représente l’usage du mercure dans ces travaux d’extraction et qui contamine l’eau consommée par les populations locales.

L’activité illégale fait perdre aussi une importante source de revenus pour l’Etat, fait-il observer, rappelant que dans le cas de l’extraction légale, les impôts ne vont pas à l’Etat.

Selon les experts, l’exploitation minière illégale est l’une des principales causes de déforestation en Amazonie brésilienne, qui a perdu en 2020 environ 8.500 kilomètres carrés de jungle, selon les chiffres officiels.

En vertu de la réglementation du secteur minier, la phase de prospection est la première étape avant l’extraction minière. En 2020, les demandes de prospection couvraient 85 territoires indigènes et 64 réserves écologiques.

Cette tendance a attisé les critiques contre le président, Jair Bolsonaro accusé par les ONG et la communauté internationale d’être permissif sur les questions de l’environnement.

Un projet de loi proposé par le gouvernement est actuellement en cours d’examen par le Parlement pour libérer cette activité dans les territoires indigènes et régulariser les extractions illégales qui y sont pratiquées. Les autochtones organisent régulièrement des manifestations dans la capitale pour protester contre ce texte.

Or, la situation est déjà alarmante. L’organisation Mapbiomas, qui a analysé l’évolution de l’exploitation minière au Brésil entre 1985 et 2020, dénonce qu’au cours des 36 dernières années, la superficie occupée par l’activité minière au Brésil a augmenté plus de six fois, passant de 31.000 hectares en 1985 à 206.000 hectares en 2020.

Dans les réserves environnementales, la superficie occupée par le garimpo a augmenté de 301% entre 2010 et 2020, tandis que durant cette décennie, la progression de l’exploitation minière illégale dans les territoires indigènes était de 495%, affectant principalement les terres des Kayapó, des Munduruku et d’autres groupes ethniques dans la région amazonienne.

Alors que l’expansion de l’exploitation minière industrielle (légale) s’est produite progressivement et de manière continue entre 1985 et 2020 – à raison d’environ 2200 hectares chaque année – avec le garimpo la situation était différente.

Entre 1985 et 2009, le taux de croissance de l’exploitation minière illégale était faible – environ 1500 hectares par an – mais à partir de 2010, le taux d’expansion a quadruplé pour atteindre 6.500 hectares par an.

L’enjeu économique, minier et agricole en particulier, l’aura ainsi emporté sur les obligations écologiques. Le Brésil a déboisé au cours des 36 dernières années environ 820.000 kilomètres carrés de couverture végétale, près de 9,64 % de son territoire.

Cette zone a été déboisée en raison de l’activité minière mais aussi pour faire place à l’agriculture, ce qui a fini par faire du géant latino-américain l’un des plus grands producteurs et exportateurs d’agroalimentaire au monde.

L’impact n’était pas moins dévastateur sur la biodiversité. Les feux de forêt ont déjà touché 95% des espèces du biome amazonien au cours des 20 dernières années, selon une étude que vient de publier le magazine scientifique Nature.

Les chiffres augurent de davantage de pression internationale sur le Brésil, déjà dans le collimateur pour la politique de Bolsonaro, qui a vu l’accord de libre-échange avec l’Union européenne stoppé net en raison du non alignement sur les engagements environnementaux. Par ailleurs, la question est bien partie pour constituer aussi un terrain de bataille lors des présidentielles de 2022, pour lesquelles l’ancien président Lula Da Silva (gauche) part favori devant l’actuel chef d’Etat.

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