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02 Sep

Norvège : L’écologie comme crépi de façade !

-Par Wahiba RABHI-

Oslo – Véhicules à carburants bannis, déforestation et élevage d’animaux à fourrure prohibés, production d’une électricité à 95% hydraulique et réduction drastique de l’empreinte carbone,… Assurément, la Norvège a de quoi se targuer d’être un parangon d’écologie.

Une balade au cœur de la métropole Oslo donnera un avant-goût de ce virage vert enclenché dans l’ensemble du pays scandinave. Allant du palais royal à la gare centrale, en passant par l’ancienne forteresse d’Akershus, les voitures sont quasi absentes, hormis de rares taxis. À la place bourgeonnent les terrasses de café, du mobilier urbain, des stations à vélo ou encore ces trottinettes électriques devenues très populaires.

En 2020, la totalité du transport commun sera propre. Le port d’Oslo est aussi en train de s’électrifier rapidement pour alimenter en courant les grands navires à quai, mais aussi, bientôt, pour assurer des navettes maritimes et des traversiers 100% électriques !

A mesure que l’on s’éloigne du centre-ville, niché entre les eaux bleues de l’Oslofjord et les collines boisées, on aperçoit ces majestueuses voitures électriques roulant en silence. Un peu plus au nord se situe le quartier Vulkan, construit autour de la géothermie et de l’énergie solaire sur la rive autrefois très industrielle du fleuve Akerselva.

Sensible au bien-être et à la nature que préservent jalousement ses habitants grâce à un recyclage intelligent, Olso multiplie ses projets écologiques et compte réduire ses propres émissions de 95% d’ici 2030, au moment où la Norvège s’est fixée un objectif global d’au moins 40% par rapport à 1990.

Face à ce succès atypique, une question intrigue : d’où proviennent les fonds qui ont permis à ce royaume de 5,3 millions d’habitants d’effectuer une transition verte si rapide et qui semblerait, au premier abord, irréprochable ? On est là au cœur du « paradoxe norvégien » puisque le chèque derrière ce bouquet d’initiatives vertes est signé à l’or noir !

La prospérité de la Norvège, l’un des pays les plus riches au monde, s’est en effet largement construite sur l’extraction d’énergie depuis que de vastes gisements pétroliers ont été découverts en mer du Nord dans les années 60, et dont les revenus servent à alimenter le fonds souverain de l’Etat ou Government Pension Fund-Global.

En mars, la Norvège a annoncé son ambition d’ouvrir 90 nouveaux blocs à l’exploration pétrolière, au large de ses côtes, dont 48 en mer de Barents. Deux mois plus tôt, le pays avait déjà décerné 83 nouvelles licences d’exploitation, se félicitant de battre un nouveau record, après l’ouverture de 102 blocs à l’exploration en mars 2017.

Selon le ministre du pétrole et de l’énergie, Kjell-Borge Freiberg, « ce nouveau record confirme que cette industrie va continuer à créer de la valeur en Norvège. Cela va générer de l’activité, des découvertes et aussi des revenus pour l’Etat ».

Dans ce pays où le secteur des hydrocarbures représente près de la moitié des exportations, accusé par certains « de construire son identité verte en exportant sa pollution », l’annonce ressemble en tout cas à une sortie du tunnel. Depuis quinze ans, la production norvégienne était en déclin, mais la courbe devrait rebondir dès cette année, pour rejoindre d’ici 2023 les niveaux de 2004, quand la production avait atteint son pic.

Toutefois, la sphère politique semble progressivement encline à opérer un changement de cap. En avril, la pétromonarchie norvégienne décide de renoncer à l’exploitation du champ pétrolifère situé dans l’archipel des îles Lofoten. Pourtant, ce gisement recèlerait d’un à trois milliards de barils pour un potentiel économique de 65 milliards de dollars.

Argument avancé: la préservation de l’environnement est bien plus importante que la prospérité du pays, à l’heure où l’opinion publique fait pression sur les dirigeants pour obtenir des mesures concrètes contre le réchauffement climatique.

Une autre décision importante intervient deux mois après cette prise de position. Le vote d’un texte au Storting, le parlement norvégien, entérine deux propositions faites par le ministère des Finances, qui vont donc modifier le profil du plus grand fonds souverain au monde, présent au tour de table de plus de 9.000 entreprises et contrôlant l’équivalent de 1,4% de la capitalisation boursière mondiale.

La première consiste à exclure les compagnies pétrolières, soit 134 entreprises représentant 7 milliards d’euros d’actifs, afin de réduire l’exposition du bas de laine norvégien à la volatilité des cours. Si cette proposition est dictée par des considérations strictement financières, le désengagement d’un investisseur qui pèse plus d’un billion de dollars d’actifs est néanmoins aussi perçu comme un grand coup porté aux énergies fossiles polluantes.

La seconde proposition porte sur le désengagement de toute entreprise extrayant plus de 20 millions de tonnes de charbon par an ou produisant plus de 10 gigawatts d’électricité à partir de cette source d’énergie fossile. Encore une fois, le fonds norvégien émet un signal fort en faveur d’une énergie décarbonée.

Et ce n’est pas tout. Le texte adopté donne aussi plus de latitude au fonds pour investir dans des projets d’énergies renouvelables, tels que des parcs éoliens ou des fermes solaires, avant même que ceux-ci ne soient cotés en Bourse.

Ces décisions ne sont pas pour autant synonymes de changements dans la politique du pays liée aux hydrocarbures. A l’intérieur de ses frontières, la Norvège est pragmatique et continue de miser sur l’exploitation du pétrole et du gaz, des risques qu’elle dit « maîtriser ». A l’extérieur, elle polit son image de championne de l’environnement.

Grâce à ses pétrodollars, Oslo finance à coups de millions des projets emblématiques en Asie, en Afrique ou en Amérique latine: protection des forêts tropicales en Indonésie, prévention de la désertification au Sahel… Le pays a, tout récemment, bloqué 30 millions d’euros de subventions destinées au Brésil, l’accusant de « ne plus souhaiter arrêter la déforestation » de la forêt amazonienne.

S’il est vrai que la Norvège ne ménage aucun effort pour réduire ses émissions de carbone tout en soutenant les efforts mondiaux pour protéger la biodiversité et lutter contre le changement climatique, l’intensification de sa production d’hydrocarbures lui vaut des critiques, au risque de rater le virage de la transition verte nécessaire à son économie.

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